S’il n’existe nulle « bibliothèque de gestes », certains vestiges archéologiques bien conservés transmettent la mémoire de leurs usages et de leurs usagers. Dans les vitrines du Malp, des cuillères particulières parlent de leurs très anciens propriétaires.

Comment reconstituer la vie des sociétés anciennes en l’absence de documents écrits ? Seuls les vestiges nous transmettent cette histoire, pour peu que leurs conditions de conservation aient préservé assez de détails, et bien sûr, qu’on sache les « faire parler ». C’est une des chances des sites de Paladru : grâce aux eaux du lac, les objets mis au jour sont nombreux et bien conservés. Parmi ceux-ci, la vaisselle en bois nous raconte la vie quotidienne des anciens habitants de ces rives autour de l’an Mil.

Des couverts personnels

Les fouilles de Colletière ont livré nombre de cuillères, sculptées au couteau dans le bois très dur du buis : 242 exemplaires, dont 27 sont complètes. Les plus longues servent à cuisiner, à remuer les laitages ou le sang de porc pour la préparation du boudin ; les courtes sont utilisées à table. Les plus petites sont destinées aux enfants.

Le moindre détail livre des indices aux archéologues. Les traces d’usure signalent que telle cuillère raclait le fond des vases à cuire pour le service, et que la plupart des autres, usées sur le bord gauche, étaient utilisées par des droitiers. Seules deux d’entre elles révèlent, par leur usure caractéristique, leurs propriétaires gauchers. D’où l’on peut conclure que ces couverts étaient personnels.

« On retrouve ce phénomène dans les sociétés traditionnelles, où le pater familias par exemple a sa propre cuillère et son couteau », note l’artiste The Street Yéti, qui anime des ateliers au Malp.

Cuillère en buis datant de l'an Mil. Appartenant probablement à un gaucher.

Cuillère en buis datant de l’an Mil. Appartenant probablement à un gaucher. © Denis Vinçon – Musée dauphinois – Département de l’Isère.

Une archéologie des gestes

Les objets du quotidien portent la trace de leurs usages et de leurs usagers. Ces traces, autant que les pièces elles-mêmes, conservent la mémoire des temps anciens. Mais pas seulement : elles tirent un fil entre nos ancêtres et nous. « Il est frappant de noter que des pièces comme les cuillères n’ont pas changé, et que les gestes pour les utiliser non plus, relève The Street Yéti, cela fait partie de notre héritage en quelque sorte. »

Un héritage que chaque visiteur du Malp peut s’approprier au détour d’une visite sensible du musée.